C'est en 1968 que la ville nouvelle de Créteil émerge, érigée au rang de préfecture d'un nouveau département, le Val-de-Marne. L'Etat ne lésine pas et la dote d'un palais de justice, d'une maison de
la culture et d'une université. On prévoit 125.000 habitants à l'horizon 1980, chiffre surestimé puisque Créteil n'en compte aujourd'hui que 86.000. En 1969, Alexis Vibert-Guigue, président de l'Ocil (Office
central interprofessionnel de logement, collecteur du 1 %), fait preuve d'audace en appelant l'architecte Gérard Grandval pour concevoir un programme ambitieux d'accession à la propriété de 650 logements, le quartier du
Palais, à une encablure de la nouvelle préfecture.
Grandval, grand prix de Rome, est alors plus connu pour ses aménagements intérieurs que comme spécialiste de la création de quartiers urbains. Il choisit de « rompre avec la production anonyme de logements,
ressentie comme un simple stockage d'habitants et baptisée grands ensembles » (1) et imagine des immeubles ronds de 6 étages, avec, au centre, un jardin intérieur. Chaque porte-fenêtre donne sur un balcon
formé d'une haute coquille de béton figurant des pétales. Ceux-ci sont à l'origine du surnom de « Chou ». On y est à l'abri des regards et du vent, un parti revendiqué par l'architecte :
« Je suis intimement convaincu qu'en matière d'habitat, la transparence est porteuse non de liberté mais d'aliénation. Les habitants souhaitent vivre sinon cachés, du moins à l'abri des regards »
(1). Les voitures sont stockées en sous-sol ou en rez-de-chaussée, dans des couronnes de béton à proximité des immeubles. Les cheminements piétonniers et automobiles sont dissociés.
En dépit de la publicité conçue par un Jacques Séguéla débutant qui invite, non sans ironie, les Parisiens à « habiter dans un chou, à 2.200 francs le mètre carré et
35 minutes de l'Opéra », les appartements se vendent mal. Plus tard, le publicitaire confessera son erreur : « En fait de chou, ce sera mon plus gros navet, on ne ridiculise jamais impunément un produit qui est
l'achat d'une vie. » Plusieurs immeubles sont voués au locatif social et deviennent la propriété d'une filiale de l'Ocil, l'Immobilière Familiale. Pour des raisons d'économies, le programme est
densifié : un seul « chou » de 6 étages sera construit à côté d'une dizaine d'« épis de maïs » de 12 étages de même facture. Les diamètres des tours sont alors
réduits de 30 centimètres au détriment de l'espace des pièces intérieures. Les jardinières de béton, d'où devaient ruisseler des cascades de plantes vertes pour couvrir les façades d'une
peau végétale changeante au gré des saisons, ne seront jamais installées.
Des inconditionnels
Entre 1970 et 1974 sont édifiés 1.883 logements, dont 704 en copropriété et les autres en locatif, confiés à quatre bailleurs sociaux. Un centre commercial et deux écoles, rondes elles aussi,
complètent l'ensemble. Les « Choux », témoins de l'architecture française moderne, deviennent célèbres dans le monde entier. Des photos sont publiées dans d'innombrables revues architecturales,
jusque dans la « Gazette de Hong Kong », et dans des magazines grand public comme « Times » ou « Paris-Match ».
Les Choux et les Maïs sont aujourd'hui enracinés dans le paysage architectural, devenus le symbole de Créteil, et nul ne songe à les démolir ou même les modifier. Leurs habitants les ont adoptés et
l'architecture a sélectionné ses habitants. Quelques-uns trouvent impraticables les pièces en forme de trapèze, où aucun angle n'est assez droit pour accueillir le bahut breton. Mais les Choux ont leurs
inconditionnels, comme Denis Labouret, arrivé en 1978.
Président du conseil syndical d'une copropriété de quatre Epis, il veille à l'entretien des lieux dans le respect de l'esprit d'origine : « Ces appartements sont lumineux, sans place perdue et très
commodes. Les immeubles sont faciles à entretenir. Nous provisionnons chaque année des fonds pour travaux afin de ne rien laisser à l'abandon. Cependant, nous n'avons pas eu besoin, depuis vingt-cinq ans, d'intervenir lourdement,
excepté pour réparer une canalisation de chauffage urbain. Même les menuiseries et portes d'origine sont là. » Jackie Revirand, propriétaire d'un trois-pièces de 66 mètres carrés,
tient le même discours : « Pour rien au monde je ne changerais d'appartement. » Le métro a toujours été à quelques pas, le RER et le tram Val-de-Seine l'ont rejoint depuis.
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